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Amma, la multinationale du câlin

Le Monde.fr | 26.10.2011 à 18h32 • Mis Ă  jour le 26.10.2011 à 18h32

Par Thomas Monnerais

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Amma serre dans ses bras les personnes qui le souhaitent, c'est son "darshan". | T.M.

Le lieu est indiqué à l'aide d'une pancarte jaune fluo cartonnée, accrochée à un lampadaire. N'y figure qu'un nom. Amma. Dans le hall des expositions de Pontoise, en banlieue parisienne, c'est l'effervescence. Mardi, à 10 heures, des dizaines de personnes s'y pressent, ôtent leurs chaussures et les rangent sur des étagères de fortune. Certains tirent des valises, d'autres portent des coussins. C'est qu'il va falloir être patient et attendre son tour. Amma, la dame qu'on vient voir. ne reçoit que sur rendez-vous .

Amma (terme qui signifie "mère" en hindi) est indienne, la cinquantaine souriante. Sur son front, un point rouge cerné de blanc, à ses poignets, une demi-douzaine de bracelets, à la narine, un piercing en forme d'étoile. Depuis vingt-cinq ans, des millions de personnes sur la planète. des Etats-Unis au Kenya en passant par le Japon. n'attendent de sa part qu'un geste. une étreinte, son "darshan", sa marque de fabrique.

Un acte d'amour. disent ses représentants français, tous bénévoles. Amma, elle, a toujours la même réponse et file toujours la même métaphore. "Il est dans la nature d'une rivière de couler. De même, il est dans la nature d'Amma d'exprimer un amour maternel pour ses enfants." Discours simpliste. "C'est peut-être simple mais ça n'est pas facile". rétorque Dipamrita, une Française aux longs cheveux blancs, traductrice officielle d'Amma depuis vingt-cinq ans.

Sa légende est fermement établie. Née dans la campagne indienne dans une famille de pêcheurs, Amma soigne sa mère souffrante, quand elle est encore une enfant. De fil en aiguille, elle vient en aide à tout son village, ce qui dans le système indien de castes est mal vu. Battue et méprisée par les siens, elle commence à étreindre des personnes complètement étrangères pour les réconforter. Aujourd'hui, elle en a fait son activité principale, neuf mois par an, au cours de tournées mondiales dignes de Britney Spears.

Des centaines de personnes patientent en attendant l'étreinte d'Amma, certains méditent, d'autres s'endorment. | T.M.

A Pontoise, durant trois jours, 20 000 personnes – majoritairement des femmes, plutôt âgées – ont attendu assises sur des chaises, en rang deux par deux. Toutes les trois minutes, au signal lancé par des femmes vêtues d'un sari blanc comme Amma, elles se lèvent pour s'asseoir sur la rangée de devant. Toutes ont leur ticket en main, petit carré de papier distribué gratuitement mais indispensable pour s'approcher d'Amma. Durant ces dizaines de minutes d'attente pour une étreinte de quelques secondes, personne ne parle. On médite, on se concentre. Les têtes qui penchent dangereusement laissent penser qu'on s'endort aussi.

Pourtant tout a été organisé pour ne pas laisser poindre l'ennui. Sur scène défilent des musiciens indiens mais aussi caribéens, des danseuses. Aux murs des tentures à l'effigie des divinités indiennes, au sol des tapis recouvrent la moquette rose. Plus haut, deux écrans géants diffusent en direct les étreintes d'Amma mais personne ne les regarde.

"ELLE ME TRANSMET SA PAIX INTÉRIEURE"

Arrivés devant la reine du jour, les habitués – Amma vient chaque année en France – s'agenouillent et enfouissent leur tête sous son aisselle. Les néophytes, eux, sont guidés par "les monitrices du darshan". Véritables gardes du corps malgré leur frêle physique. elles n'hésitent pas à accélérer le mouvement en appuyant sur les têtes pour les baisser. en relevant avec poigne ceux qui se perdent dans l'odeur de lessive du sari d'Amma.

"A cinq mètres d'elle, je ressentais de la chaleur, j'avais envie de pleurer. Quand elle m'a serrée dans ses bras, je me suis sentie immédiatement apaisée. raconte Stéphanie, trentenaire aux yeux bleus perçants, juste après son passage. Mais ça ne marche pas avec tout le monde. j'ai amené des copines qui n'ont rien ressenti." A ses côtés, son compagnon, surpris par tant d'enthousiasme, confirme. Derrière son appareil photo. ses moues restent dubitatives, lui n'a pas été envahi par un sentiment de plénitude.

Les adeptes d'Amma ont du mal à mettre des mots sur ce qu'ils ressentent au moment de l'étreinte. | T.M.

Il est difficile pour les "fidèles" (aucun terme ne les définit vraiment) de mettre des mots sur ce qu'ils ressentent au moment de l'étreinte. Ceux qui reviennent sont l'apaisement, parfois, l'amour, souvent, la quête de spiritualité, toujours. "J'ai nourri un long parcours spirituel tout au long de ma vie, explique Nicole, 63 ans. Mais sa simple présence me révèle ce qu'il y a de plus profond en moi. Avec elle, la souffrance disparaît, elle me transmet sa paix intérieure." Preuve de son engagement, Nicole, pédicure-podologue de son état, est venue les trois jours, même sans étreinte. "Mais je ne suis pas une illuminée", prévient-elle, pour se prémunir contre les esprits chagrins.

"Le public, sensible au discours et à l'action d'Amma, est le même que celui qui était intéressé par l'Inde et sa spiritualité dans les années 1970, résume Nadine Weibel, anthropologue du fait religieux à l'université de Strasbourg. Cet engouement occidental pour Amma s'inscrit dans le renouveau du religieux, où chacun se crée sa propre religion."

Amma, non plus, n'a rien d'une illuminée, malgré elle c'est une business woman. Assise au pied de la scène, sur son fauteuil en bois, elle enchaîne les étreintes. Une véritable machine à câlins, qui ne s'arrête plus. "Elle ne prend jamais de pause". assure Dipamrita. Parce qu'elle n'en ressent pas le besoin mais aussi parce qu'il faut satisfaire la foule.

Ces millions d'étreintes – à raison d'un million par an – financent indirectement une ONG, véritable multinationale du caritatif. Embracing the World ("étreindre le monde ") intervient dans des domaines aussi variés que la protection de la planète, la promotion du droit des femmes ou encore l'éducation des plus jeunes, et ce sur tous les continents.

L'essentiel est financé par les dons des participants, le reste des recettes provient de la vente de produits dérivés. Saris (en solde, à Pontoise !), étoles, livres de prière traduits dans toutes les langues, CD et DVD. Mais aussi tee-shirts, sacs à main, porte-clés, statues, peluches, cartes postales, encens, pierres, bijoux et même des montres à l'effigie d'Amma sont vendus toute la journée dans un coin de la salle par des dames – toujours vêtues de blanc.

Impossible de connaître le montant des fonds que brasse Embracing the World. Seule indication, fournie par une bénévole, "notre coût de fonctionnement représente 5 % des dons, le reste ne sert qu'aux actions". Quant à Amma, l'argent n'est pas son problème. "L'amour ne se paie pas, une mère ne fait pas payer son lait maternel à ses enfants". dit-elle, tout en étreignant un jeune couple, venu lui présenter son nouveau-né.

Dans ses livres. ses conférences données à l'ONU ou dans de prestigieuses universités. Amma tient un discours qu'il est difficile de critiquer. Qui oserait dire qu'il ne souhaite pas plus d'amour et de bonheur sur terre. "Attention à l'ethnocentrisme, met en garde Nadine Weibel, Amma est dans la pure traditon hindoue et c'est une véritable figure en Inde. Ce qui peut nous paraître étrange ou simpliste est en fait le fruit d'une tradition millénaire."

Par Thomas Monnerais

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